Quand deux jeunes entrepreneurs revisitent les codes de la brasserie parisienne, avec la promesse de plats entièrement maison et bon marché… Attention, phénomène !
Mais d’où sortent donc Victor et Charly ? On ne connaît pas leur nom de famille, on ne sait rien de leur parcours et on n’a aucune idée de leur âge (probablement moins de 30 ans). Tout juste devine-t-on quelques accointances avec la bonne bouffe et assez de bagou pour avoir envie de faire les foufous dans le jeu de quilles de la gastronomie parisienne.

Ce qui, en revanche, ne fait pas mystère, c’est leur source d’inspiration. Ces deux-là ont à coup sûr décrypté, disséqué, digéré le succès insolent de Pizzeria Popolare, La Felicità et toutes les mégatables italiennes de Victor Lugger et Tigrane Seydoux, le duo fondateur du groupe Big Mamma, et ils se sont dit qu’ils avaient la même chose à faire du côté de la cuisine française… Au risque de se calquer ouvertement sur leur modèle, sans chercher à cacher les ficelles.
Dès le premier pas sur leur carrelage mosaïque, les similitudes sont un peu embarrassantes. Bellanger est à la brasserie ce que East Mamma est à la trattoria : une vision fantasmée, une allégorie folklo-branchée, derrière laquelle on décèle la même levée de fonds ambitieuse, le même storytelling bisounours (“on a parcouru 6 000 kilomètres pour dénicher les plus belles pépites du terroir”), les mêmes fautes de goût dans un décor sous ecstasy (les meules de cantal en plastique, comme un hommage au parmesan factice chez East Mamma), les mêmes serveurs tatoués et les mêmes cuisiniers survoltés derrière le comptoir, au service du même projet démocratique : le bon pour tous.
“Proposer de bons plats bien gourmands sans avoir à craquer son PEL” lancent Victor et Charly la main sur le coeur et l’oeil rivé sur le business plan. Car nourrir leur client “à moins de 15 euros par personne” (dans les faits, c’est plus) impose de réduire les marges, d’acheter de grandes quantités de matières premières en direct chez les producteurs et de multiplier les couverts.

Qu’est-ce que cette grosse machine a dans le ventre ? Si nos jeunes restaurateurs ont le talent de vous faire passer du jambon blanc à l’arôme de truffe pour un produit de tradition et le poisson d’un chalutier de Ouistreham (Calvados) pour de la pêche écoresponsable, leur débauche d’énergie impressionne et leur cuisine de bistrot, touillée par Thibault Darteyre (Le Violon d’Ingres, Richer, L’Hôtel des Grands Boulevards…), se révèle plus que crédible. L’oeuf mayo à 1 € affiche un blanc souple, un jaune crémeux et une mayonnaise maison dans les règles. Le poireau vinaigrette, façon gros fût blanc taillé en deux, tout en fondant, est perlé d’une vinaigrette bien balancée.
On ne sait pas trop ce que les avocado toasts et les mini-burgers viennent faire entre les rillettes de volailles à la louche et les saucisses purée, mais on approuve l’excellente pièce de boeuf du Bourbonnais, juste grillée, accompagnée d’une béarnaise au siphon (c’est mieux que rien…) et de pommes allumette démoniaques (de la pomme de terre agria bio épluchée tous les matins et cuite en deux bains !). Quant au boeuf bourguignon, il n’est là que pour écluser les morceaux à braiser de la carcasse de boeuf : mijoté 12 heures, confit à souhait, flanqué d’une sauce réduite à la sapidité exacerbée et d’une impeccable purée généreusement beurrée, il remplit sa mission haut la main pour 14 €.
Au rayon dessert, Charles, le directeur du restaurant, ose nous annoncer un Paris-Brest exceptionnel. Il n’a pas menti. Le pâtissier Clément Le Cam a bien appris la légendaire recette de Philippe Conticini : pâte à chou couverte d’un streusel aux noisettes pour le croustillant, une crème mousseline, un coeur coulant praliné.
Les mêmes causes produisant les mêmes effets, il y avait une file d’attente sur le trottoir dès la première semaine d’ouverture. Nos deux compères fomentent déjà d’autres projets de brasseries à Paris et il y a fort à parier qu’ils auront bientôt cette furieuse envie de traverser la Manche. Juste histoire de se mettre dans les pas de leurs aînés de Big Mamma qui cartonnent en ce moment à Londres avec leur super-trattoria Gloria…